A fond les basses: De Django à Trenet
Alphonse Masselier né en 1925 à Paris. Il est le seul de la fratrie à être né à Paris . Ses parents étaient de Dunkerque, de milieu modeste. Son père était secrétaire du Club des enfants de Jean Bart, la chorale des dunkerquois de Paris. Après la guerre, Dunkerque détruite, ses parents viennent pour trouver un emploi à Paris en 1919. Depuis cette époque il revendique le droit de s’élever contre les injustices sociales.
Ses parents aiment chanter et le petit Alphonse apprend le violon avec un ami de ses parents dés l’âge de 5 jusqu’à 12 ans. Il développe ainsi une bonne oreille et de solides bases de solfège. En 1936 c’est le front populaire, Alphonse chante à la chorale laïque des écoles communales de Paris, concurrente des petits chanteurs à la croix de bois ; il est le soliste. La chorale participe à des émissions de radio, » être musicien c’est savoir chanter juste « .
Les débuts 1936- 1945
Alphonse n’aimait pas beaucoup le violon, ainsi à 12 ans son père souhaite qu’il reste à l’école et poursuive sa scolarité. Alphonse accepte mais dit » je ne pourrais pas continuer le violon » ! En 1940 il réussit le concours d’entrée à l’école Jules Richard (devenue lycée technologique) pour apprendre la mécanique de précision. Puis il continue ses études à l’école Dorian, où il apprend la mécanique, là il fait la connaissance de Jean Fritz, dont le père, était musicien de cinéma muet, et représentant en tissu.
Avec Jean Fritz ils forment un duo d’harmonica, puis un trio, Alphonse passe au Vinetta, enfin un quatuor et il passe à l’harmonica basse chromatique. Jean fritz a fait son service militaire avec Roger Guérin et Teddy Ameline, étonnés des qualités musicales de Jean Fritz. C’était un bon saxo alto qui par la suite a joué à Las Vegas.
En 1942 Jean Fritz passe à la clarinette, et Alphonse à la contrebasse. Il s’est trouvé bien avec cet instrument. Il a la chance d’étudier avec Maître Delmas Boussagol, professeur au Conservatoire, qui habite alors avenue Trudaine. Après sa scolarité, Alphonse entre dans un bureau d’études, comme dessinateur industriel deuxième échelon à la Snecma. En 1943 il a rencontré Jolivet à l’école Dorian, un violoniste. Puis il fait connaissance d’un guitariste du quartier de Belleville qui joue du Django : Henri Montaggioni, lui même fait des chorus de violon. Ils forment un trio. En 1945 il joue au Rex lors d’un spectacle pour les prisonniers de guerre. Il est alors dessinateur industriel à la Snecma Bd Kellermann dans le 15°.
Congé sans soldes et Jazz
Au printemps 1946 il fait connaissance d’Alain Vian le batteur, et ses frères Boris et Lelio le guitariste, J.C. Fohrenbach et Mowgli Jospin, le frère de l’le frère de l’ex premier ministre, Georges Bellec, futur Frères Jacques tient la trompette, ils passent au Chalet du lac du bois de Vincennes dans le 12°. Ils jouent le samedi, dimanche et le mercredi soir. Claude Luter figure dans l’orchestre avant son service militaire. C’était avant l’ouverture du Lorientais..
En 1947, il prend un congé sans solde d’un mois pour se consacrer à la musique, avec le trio Denjean, de Jacques Denjean au Moulin de Pontaven, où il passe tous les soirs, puis à Rennes. Un an plus tard avec le trio Denjean, ils se produisent à Pleyel pour faire patienter le public, Dizzie ayant été étant retenu un moment à la douane à la frontière belge. Le trio Denjean jouait dans le style du trio Nat King Cole.
Alphonse Masselier se souvient de ce concert mémorable » « quand Dizzie et son Big band avec Kenny Clarke attaquent, je prends une des plus grandes claques musicales de ma vie, je reste scotché dans les coulisses, quelle puissance, quelle inventivité. Un véritable cataclysme pacifique ! Des harmonies qui décoiffent et une énergie démentielle. Kenny Clarke est présent sur tous les fronts, tempo, relance, précision, swing ! Un monstre de musicalité. » (1)
Charles Delaunay propose à Kenny Clarke, le batteur américain, d’engager le trio comme rythmique. Kenny se plaira tant en France, qu’il s’installera comme beaucoup de jazzmen noirs en France. Alph part en tournée pour deux mois et renonce à entrer au conservatoire national, pour pouvoir exercer le beau métier de musicien. Il part avec J C Forenbach (fofo), Michel De Villers, Claude Dawson trompettiste et Kenny en Allemagne et en France. » Durant ces deux mois, j’en apprends plus que durant toutes mes études musicales « . a la fin de la tournée Kenny fait une dédicace élogieuse à Alph ( Kenny le surnomme Alph): « All the best to the best bassist in France ! « .
En 1948 fin juillet au Club Saint Germain en compagnie de Boris Vian, de Raymond Fol au piano, son frère Hubert à l’alto, et fofo au ténor, Alph succède à E. Soudieux à la basse , Harry (Henri) Montaggioni est à la guitare, Maurice Vander, puis Raymond Fol et parfois Ralph Scheckroun au piano. Ralph deviendra une grande vedette aux Etats Unis sous le nom d’Errol Parker,trouvé par Daniel Filipacchi. Ralph batteur, pianiste et compositeur était né à Oran en 1925 !
Les années Jazz
Ils restent au Club Saint Germain de 1948 à 1950, Barney Spieler, bassiste américain bénéficiaire d’une bourse, le remplace de temps en temps. Il habite à l’hôtel Saint Yves à Saint Germain, et avec son vélo parcourt Paris et photographie les concierges ! Barney Spieler,
était pendant la guerre le bassiste d’un des deux Big band de Glenn Miller, celui de l’Europe, pour l’Asie,le bassiste était Artie Shaw. Après la guerre le gouvernement américain propose aux musiciens une bourse d’étude, et Barney Spieler vient étudier la contrebasse à Paris.
En 1949 Alph s’absente du Club Saint Germain pour rejoindre l’orchestre de Noel Chiboust avec Maurice Vander au piano, pour la saison d’hiver à Cannes . De retour il prend des cours chez Gaston Logerot pour lire la musique. Puis réalise ses premières séances de studio. Il joue aux cotés de Jacques Denjean, Fohrenbach, et Montaggioni à la guitare. Alf accompagne ensuite à Pleyel Sydney Bechet en première partie du quartet Parker – Miles Davis.
Il est Pendant l’hiver 1949-50 , il est recruté par le quintet du HCF de Django, avec la mémorable tournée en Italie avec Paraboschi, André Ekyan, R. Schékroun au piano. Ils enregistrent trente deux morceaux en trois jours pour la radio italienne!
Django était » bonhomme formidable, il aimait la rythmique, Schekroun lui a fait découvrir le Be bop. S’il avait vécu il serait passé au Be Bop » comme Alph l’a dit à David Reinhard le petit fils de Django.Django adorait son fils Babik, et pendant le séjour en Italie, il a demandé à sa femme Laguine de venir avec Babik. Alf » Totole » son surnom depuis la communale, écrit la lettre. Laguine arrive le petit Babik à Rome.
Pour la saison estivale, Alph rejoint l’orchestre de Benny Bennett au casino d’Evian, où Martial Solal les rejoint. A la rentrée le chef de rang du Club Saint Germain le prévient, la direction du club veut changer la formule.
Recommandé par Pierre Gossez il rentre dans l’orchestre de Bernard Hilda. L’orchestre part en Espagne pour mois, il a belle allure : Pierre Gossez au saxo, Raymond Lefèvre au piano, Fofo, Jean Claude Fohrenbach au saxo, Benny Bennet au trombone, René Duchaussoir dit la godasse à la guitare…. Après l’Espagne ce sera les tournées au Brésil , le Portugal, de 1951 à 1953, deux saisons à Juan les Pins en 1951 et 1952, puis à Rome en 1953.
En 1951 ils font les nuits du Jazz. Jacques Wolfson, futur Directeur de Vogue, est alors photographe, la photo ci-dessous est parue en 1951 dans Jazz Hot.
Grâce à Bernard Hilda, Alph intègre le milieu fermé des musiciens de studio : les requins. Disques, musique de films, il faut savoir lire et déchiffrer à vue et jouer très vite les partitions. Alf ne regrette plus alors les longues heures de violon et de solfège avec Maître Boussagol. Il se perfectionne avec Gaston Logerot, puis observe ses collègues comme Jean Marc Rollez, essayant d’apprendre par ci par là leurs techniques.
Puis il est au Maxim’s. Il y reste 4 ans de 1953 à début 58, Il jouera aussi pendant 4 ans avec Léo Chauliac, accompagnateur de Trenet, qui avait travaillé avec Maurice Ravel.
Les années studios et Télévision
Il fait aussi les émissions de radio de Maritie et Gilbert Carpentier sur Radio Luxembourg, futur RTL, comme l’heure musicale, le club des vedettes, le miroir aux étoiles. Gilbert Carpentier a fait le conservatoire, c’est un pianiste et compositeur. Gilbert a débuté comme planton à Radio Luxembourg, avant de faire des illustrations musicales, puis des émissions. Dans les années 60 il passe à la télévision : la grande farandole, Sacha Show, numéro 1. puis joue pour la Piste aux étoiles émission consacré au cirque sur l’unique chaîne TV Le pianiste est Raymond Lefèvre.
Puis ce sera l’émission de Guy Lux Le palmarès des chansons avec l’orchestre de Raymond Lefèvre. Raymond Lefèvre Natif de Calais, il obtient le 1er prix de piano et flûte au Conservatoire de Paris. Au début des années 50, il est pianiste de jazz avec Hubert Rostaing (clarinettiste) et Bobby Jaspar (saxo ténor flûtiste). Son plus grand succès (best seller aux U.S.A.) : « The day that the rains came » (Le jour où la pluie viendra) de Gilbert Bécaud en 1956.Il est décèdè à l’âge de 78 ans le 27 juin 2008.
Avec Charles Trenet
Alph accompagne Charles Trenet durant les 15 dernières années, et sera du dernier concert à la salle Pleyel.
« Sur scène, deux pianos à queue (Roger Pouly et Jacques Lalue), et la contrebasse d’Alphonse Masselier. Le micro est dressé pour accueillir le chanteur debout, mais un siège, juste derrière, est prêt. Les lumières s’éteignent, Trenet apparaît, la salle se lève, premières salves d’applaudissements, premier tonnerre. Il est là, vivant, comme au premier jour, comme en 1933, quand il chantait le « Sur le Yang-Tsé-Kiang » avec Johnny Hess, comme le 25 mars 1938, dans cet inoubliable récital de l’ABC où, devant Cocteau, Max Jacob, Sacha Guitry, Colette, Mireille, Emmanuel Berl, Jean Nohain, le jeune homme aux bouclettes blondes était devenu, l’espace de huit chansons, , enflammant une génération « . Pascal Decaillet journaliste de l’Hebdo en Suisse.
Entre temps Alph aura joué dans l’orchestre de West Side Story pendant 3 semaines à l’Alhambra. Le chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein veut l’engager pour la tournée européenne, mais Alph préfère rester à Paris et faire les séances, c’est bien mieux payé.
Une de ses plus grandes satisfactions est d’avoir participé comme contrebassiste à un disque écrit et arrangé par son collègue et ami Pierre Michelot. C’est également d’avoir joué dans l’orchestre de Sophisticated Lady comédie musicale inspirée de Duke Ellington, avec Benny Vasseur, Verstraete, Bolognesi, et Dee Dee Bridgewater, au théâtre du Chatelet. Autre bon souvenir le premier festival de Jazz de Nice en 1951 avec B .Pfeifer, Raymond Fol, et Roger Paraboschi, plusieurs festivals d’Antibes Juan les Pins, les roses d’or d’Antibes. Alph a accompagné Jacques Brel dans l’homme de la Mancha., avec la fête mémorable lors de la centième.
» J’ai aussi accompagné Jean Claude Pascal à l’ancienne Belgique à Bruxelles. « dans les années 1963-1965. Il remporta le prix de l’Eurovision pour le Luxembourg pour sa chanson nous les amoureux à Cannes en 1961.
Alph travaillera longtemps aussi avec Marc Fosset le guitariste et le vibraphoniste Claude Guilhot en 1987.
Avec l’arrivée de la vague Rock puis Yé Yé, Alf fera des séances lors des débuts de Johnny Hallyday chez Vogue: souvenirs souvenirs, …avec Fernand Duchaussoir, … puis avec Françoise Hardy, Dario Moreno et avec la chanteuse Jacqueline François avec laquelle il est passé à l’Olympia. Alph fera des séances avec Léo Ferret Il fera partie de l’orchestre de Musicorama, l’émission d’Europe 1 du mercredi, qui diffuse les concerts de chanteurs de passage à l’Olympia, il accompagne notamment Sammy Davis junior, Jerry Lewis… Le pupitre de saxo avec Jo Hrasko, musicien d’origine tchèque impressionnait beaucoup les américains. Il a ainsi pu jouer avec Lester Young, avec Sydney Catlett.
Jo Hrasko venait d’une famille de musicien, son père jouait du violon, et pour gagner sa vie il émigra en France après la première guerre mondiale pour travailler comme mineur. Jo a fait du violon passé le conservatoire de Lille avec un accessit, puis il s’est mis au saxo alto basson, et fut premier prix à Paris, il était premier alto à l’Olympia. Alph lui a fait écouter Parker, et dans les années 50 ils ont fait les nuits du Jazz avec Bernard Hilda, au drap d’or immortalisé par le photographe de Jazz hot Jacques Wolfson, qui deviendra directeur de Vogue.
Interview
Quels sont les musiciens qui vous ont marqué ?
Alph Masselier reconnait Slam Stewart comme le contrebassiste qui l’a le plus influencé. Il l’a entendu avec le trio Denjean et cela a décidé Alph à poursuivre sa carrière à la contrebasse. Slam était un bassiste afro américain, il a joué notamment avec : Lester Young, fats Waller, Don Bayas, Coleman Hawkins, Art Tatum, Benny Goodman, Ralph Garnier, Béryl Brooker et Lizzie Gillespie, avec lequel il enregistra les fameuses sessions après guerre, de Be Bop et notamment » groovin high » et Dizzy atmosphere «
Stéphane Grappelli, j’ai joué une fois avec lui et Maurice Vander. J’ai aussi joué avec René Thomas à l’époque de Boris Vian, puis au festival de Jazz à Knocke le Zout. J’ai aussi connu Bobby Jaspar, saxophoniste belge, il était très original, Lester Young et Art Tatum..
Vos bassistes préférés ?
Ron Carter , Ray Brown et Pierre Boussaguet.
Un autre musicien André Ekyan, clarinettiste, était un musicien formidable, il mena une vie atypique, il connut le succès dans les années 1936/37, il avait son yacht ancré à cannes, où il vivait lorsqu’il jouait au Carlton !
Après la guerre sa fortune est partie en fumée en deux ans. Il se remit à travailler avec Django puis à L’impérial chez Maxim’s. Il est mort bêtement d’un accident de vélo !
Aujourd’hui Alph Masselier partage son savoir, il a enseigné au conservatoire de Marly le roi, Longjumeau, Athis Mons et Corbeil. Ilo a arrêté lors de ses 80 ans.
Il regrette que le métier ait changé, qu’il y ait moins de séances de studio, que les jeunes aient du mal à vivre de la musique.
Aujourd’hui il joue avec le Bechet Memory, qui est formé d’anciens musiciens de Sydney Bechet, comme le pianiste Christian Azzi, le batteur Poumy Arnaud, Benny Vasseur, Olivier Frank, auxquels se joignent Alain Marquet, Benoît de Flamesnil remplaçant de Benny Vasseur, Marcel Bornstein. Auparavant il a fait un album avec Colette Renard et le DVD avec e pianiste et arrangeur François Rauber et B. de Flamesnil.
Alph a fait ses dernières séances pour les albums de Bechet Memory all star en 2008, auparavant il avait fait un album pour Colette Renard avec Flamesnil.
Que représente le jazz ?
C’est la musique que je préfère, mes musiciens préférés sont Lester Young, Count Basie, Duke Ellington, Woodie Hermann. Jouer est le plus beau métier. Le jazz doit tout aux africains et aux esclaves noirs des champs de coton. Armstrong a ouvert les portes du Jazz au grand public en Europe.
Coté français j’ai travaillé avec plaisir avec André Ekyan, j’aime Claude Bolling, Claude Luter, Benny Vasseur, André Paquinet, Jo Hrasko. Alph a aussi joué avec André Revelliotty en compagnie de Poumy Arnaud, et Marcel Bornstein, lorsqu’ils accompagnèrent l’épouse de Boris Vian: Michelle.
Un de mes bons souvenirs c’est lorsque le Duc des Lombards a organisé une soirée Bechet memories all star avec 51 musiciens ayant joué avec Sydney Bechet. L’apogée de Bechet fut lors de la sortie de petite fleur. Un autre bon souvenir est d’avoir joué avec Dean Martin en 1947.
Dans la jeune Génération j’aime beaucoup Birelli Lagrene et Marc Fosset, ils sont formidables. Les batteuses Julie Saury et Anne Paceo qui est passé aux Django d’or 2010 avec Stéphane Belmondo et Médéric Collignon.
» J’apprécie toute musique qui swingue « .
Alph Masselier est heureux d’être musicien, la musique m’a permis de voyager partout dans le monde, de vivre et de connaître des moments de plaisirs d’une intensité inimaginable.
Il vient juste de faire le bœuf avec André Paquinet et Patoum (René Hono), batteur de Jacques Hélian, qui fêtait son centenaire.