En 61, quatre Suisses créent un groupe appelé les Aiglons. Léon Francioli, Antoine Ottino, Laurent Florian et Jean Schmalz répètent inlassablement dans une salle de la banlieue de Lausanne. En avril 62, Jean Schmalz le batteur quitte le groupe. Léon Francioli, le guitariste solo demande à Christian Schlatter, s’il veut le remplacer. Un essai s’avère concluant et Christian se joint aux Aiglons. Fin 62 le quatuor s’élargit avec la venue de Jean-Marc Blanc : « NAC ».
Les Aiglons se sont constitués à l’origine sous la houlette, de Léon Francioli, fils d’un architecte et de Laurent Florian, fils d’un violoniste, qui habitent le même immeuble dans la périphérie de Lausanne, à Chailly.
Léon et Laurent partagent les mêmes jeux et la même passion pour le ROCK and ROLL. Léon a appris le piano et se met avec ardeur à la guitare. En 61, il invite Antoine Ottino à les rejoindre comme bassiste. Michel Schmalz complétera le groupe fin 61 à la batterie.
Pour les Aiglons, Léon Francioli a un tempérament de leader, un peu autoritaire, c’est un Napoléon, il est tout naturellement entouré d’Aiglons dévoués !
Durant 5 mois ils vont répéter avec beaucoup d’application et de ténacité dans l’arrière salle du café « Pont de Chailly ». Ils se préparent activement pour la première coupe de Rock Suisse à Renens, prévue pour le 22 septembre 62. Ils seront 4ème et le premier groupe instrumental.
Alors ils se décident à faire quelques concerts avec leurs collègues et concurrents lausannois ou genevois. Le répertoire, quelques morceaux des Shadows, est enrichi des compositions de Léon Francioli. C’est la première marque d’originalité par rapport aux groupes qui se contentent de reprendre les classiques.
L’autre originalité, fruit de savantes recherches, ce sera la sonorité. Nos jeunes Suisses sont des perfectionnistes influencés par les groupes US de Rock et de Jazz. Ils font appel à l’orgue électrique, ce sera la voie suivi par les Aiglons.
Ils se souviennent de « NAC », Jean-Marc Blanc et réussissent à le convaincre à venir à une répétition pour faire un essai.
C’est ainsi qu’en novembre 62 les Aiglons deviennent 5. Jean Marc possède un bon bagage musical et il est compositeur à ses heures. En outre son humour britannique est bienvenu dans un groupe où les caractères sont forts et se heurtent souvent.
Les répétitions s’intensifient et deviennent quotidiennes. Avec la fin 62 et les vacances, les Aiglons décident de monter à Paris pour se mesurer aux groupes français.
Henri Leproux, le pape du rock français, les encourage à se produire au Golf-Drouot, où ils seront le premier groupe suisse à jouer dans ce temple du ROCK où tous les groupes et chanteurs français ont fait leurs débuts. Henri Leproux les programme pour le Tremplin du 4 janvier 63. Ce premier passage ne sera pas mémorable, mais leur permet de se faire connaître et surtout de rencontrer un jeune producteur de chez Barclay, qui est aussi un de leurs compatriotes. Ken Lean leur fait faire un bout d’essai chez Barclay. Il leur propose un nouveau rendez-vous au printemps et leur donne de précieux conseils.
Un peu perplexes et dubitatifs, les Aiglons se remettent au travail avec beaucoup de cœur. Fin janvier, ils obtiennent un triomphe au Théâtre de Lausanne.
Leurs concurrents, les Faux-FrÈres, sont aussi en pourparlers avec une maison de disques française. Cette émulation redouble leur ardeur au travail. Les Faux-FrÈres gagnent la première manche avec un enregistrement chez Vogue à la fin de l’hiver.
Avec le printemps, Ken Lean débarque à Lausanne et vient mesurer les progrès accomplis par nos Aiglons. Ils enregistrent une bande et regagnent Paris avec Stalactite.
La technique des Aiglons s’affine et Laurent Florian, le bricoleur de service, passionné d’électronique, améliore le matériel et trouve de nouvelles sonorités. Sa mère finance le groupe qui s’équipe en matériel de qualité. Les guitares Eko sont remplacées peu à peu par des Fender et une batterie digne de ce nom est achetée.
Fin avril, c’est la grande nouvelle : Barclay adresse un contrat d’option aux Aiglons, ce qui signifie un contrat définitif, si la prochaine séance d’enregistrement séduit Eddie Barclay, intéressé par STALACTITE.
Début mai KEN Lean leur donne rendez-vous pour la période du 15 au 17 mai au studio Hoche de Barclay pour enregistrer le premier disque.
C’est l’explosion de joie dans le nid lausannois des Aiglons. les parents sont fiers de voir leurs fils réussir mais s’inquiètent des conséquences scolaires de cette activité. Madame Florian, épouse d’un musicien, les soutient et en plus de l’aide matérielle, fait office de chauffeur, car personne n’a l’âge pour conduire.
La séance d’enregistrement est repoussée aux 20, 21 et 22 mai 63. Nos Aiglons peaufinent leur répertoire qui outre Stalactite, comprend Christine de J-M Leblanc, Marie-Line de L. Francioli et T’en va pas, un succès d’Emile Gardez et Géo Vournard présenté au Grand Prix de L’Eurovision.
Ken Lean travaille le son des Aiglons au studio Hoche et l’enrichit de percussions inédites dues à Armand Molinetti, un batteur professionnel originaire de Nice. Christian Schlatter nous a rappelé combien il devait aux conseils de cet excellent musicien, qui a su l’encourager.
De retour à Lausanne, les Aiglons vont attendre. Mi-juin Ken Lean présente le disque en avant-première à Daniel Filippachi qui le passe à Salut les Copains, l’émission qu’il anime sur EUROPE 1. Stalactite est le chouchou de la semaine. La porte du succès et de la gloire vient de s’ouvrir pour nos cinq amis suisses .
L’heure de la signature d’un contrat définitif avec Barclay est arrivée. Ce contrat de 3 ans signifie une vie nouvelle, l’arrêt des études et de l’apprentissage. Le plus jeune, Antoine Ottino, a 15 ans !
Juillet se passera à Paris, puis en tournée des plages avec RTL. Ils rejoignent la tournée le 15 juillet à Cabourg. Ils font un tabac. Cela va durer jusqu’à fin août.
Les Aiglons s’initient aux joies de la vie d’artiste et rencontrent outre de nombreuses jolies admiratrices, des chanteurs comme Charles Aznavour avec lequel Christian Schlatter et Jean-Marie Blanc passent une soirée inoubliable et très arrosée à Deauville.
Le premier disque Stalactite de Jean-Marie Blanc, commence par une intro aux percussions, un roulement sourd de batterie, un son de guitare envahissant, une attaque à l’orgue, puis un superbe solo de guitare repris à l’orgue avec un accompagnement soigné à la guitare, un claquement de cymbale, un pincement de guitare aux sonorités extraordinaires. C’est un des grands classiques de l’instrumental, qui pourrait faire l’objet de reprises intéressantes.
T’en va pas est un bon slow avec un bon dialogue de guitare, au son métallique et lointain, et d’orgue.
Christine de Jean-Marie Blanc est une ouverture à la guitare, une reprise à l’orgue au son envahissant, une mélodie entraînante, un travail sobre à la batterie. Le solo de guitare dans un son grave souligne le talent naissant de Léon Francioli.
Marie-Line de Jean-Marie Blanc, vous plaira avec son intro à la guitare au son étouffé, l’orgue qui reprend une jolie mélodie, la guitare dans une sonorité aiguë, la basse et la batterie apportent un soutien qui donne le ton de ce morceau très soigné.
A la rentrée les Aiglons prennent le chemin des studios et enregistrent les 2 et 3 octobre, le deuxième disque. Christian Schlatter nous a rappelé cette époque de gloire naissante des Aiglons, qui perturbe la préparation de ce disque. L’enregistrement sera laborieux, il faudra 52 prises pour mettre en boite Panorama, le titre phare.
Panorama de Léon Francioli démarre sur une guitare miaulante, l’orgue en fond sonore, puis un superbe solo de Léon aux sons aigus, un excellent travail d’Antoine à la basse et un final en descente.
Dans le vent de Léon Francioli, c’est aussi un son miaulant à la guitare, un orgue très présent dans ce bon slow rock.
Expo 64 de J. Roulet (Tony Franck), intro très flamenco, à l’orgue et reprise à la guitare. Ce morceau était destiné à devenir l’indicatif de l’Exposition Nationale de Lausanne.
De l’amour est un excellent morceau, un des meilleurs de ce disque.
Après ce disque les Aiglons prennent la route de la tournée Age Tendre, organisée par un futur organisateur de tous les grands spectacles, M. Camus ex-collaborateur de Bruno Coquatrix à l’Olympia. La vedette de la tournée est le pionnier mal du Rock Gene Vincent. A l’affiche également les Chats Sauvages en vedettes américaines avec les Aiglons. Les Sunlights ouvrent la soirée et la terminent puisqu’ils accompagnent Gene Vincent. Au même programme Ron et Mel un duo anglais et Franck Adams.
Mais cette tournée à l’affiche prometteuse souffrira d’une promotion insuffisante et ne connaîtra pas le succès attendu. les Aiglons se lieront d’amitié avec les Chats Sauvages, dont ils apprécient le professionnalisme, avec leur nouveau chanteur le toulousain à la voix chaude Mike Shannon.
La tournée n’ira pas à son terme pour les Aiglons et les Chats Sauvages. Ils arrêtent à Paris le 19 octobre à la suite d’incidents à la Mutualité, où un public surchauffé attendra 3 heures le début du spectacle. Une bagarre éclatera et fera un mort parmi les 5 000 spectateurs. Le gala sera interrompu au milieu du spectacle des Aiglons.
A cette tournée décevante va succéder la tournée des Copains en Suisse Romande avec les Sorciers et Tony Franck. Là encore la tournée sera écoutée pour nos amis.
En 64 le groupe projette un 3ème disque, mais il se brouille avec Ken Lean lors d’une séance d’enregistrement. En février Claude François et son imprésario Paul Lederman, devenu célèbre depuis, proposent aux Aiglons un contrat de deux ans pour accompagner la nouvelle idole. Un conseil de famille se réunit avec nos jeunes musiciens. Deux familles s’opposent à ce projet et l’offre est déclinée au grand dam de Claude François.
Le 3ème disque verra le jour au printemps 64 avec Europa un très bon slow composé par Léon Francioli. Un très bon solo de guitare, suivi d’un passage à l’orgue qui crée cette ambiance langoureuse et rappelle un peu le son de Stralactite
Tennessee est un très western, avec de bons passages à la guitare, une belle envolée à l’orgue, une mélodie agréable à écouter.
Troïka est une composition de Jean-Marie Blanc, c’est un morceau bien enlevé et on retrouve le style très travaillé de l’époque Ken Lean. Ce titre a un son très accrocheur, qui illustre les chevauchées sauvages dans la steppe immense, comme l’a joliment écrit Christian Schlatter.
BAL 10 10 l’indicatif de l’émission de RTL est très jazzy, assez rapide et rythmé avec un bon travail de Léo à la guitare, un bon jeu de batterie et Jean Marc à l’orgue très Booket T.
Ce disque n’aura pas le succès escompté.
Début 65 après bien des péripéties c’est l’heure du 4ème disque, sous la direction de Marco Vifian. Les Aiglons ne comprennent plus que deux musiciens des débuts : Christian Schlatter et Léon Francioli. Laurent Florian pour cause d’accident a du renoncer, il est remplacé par Michel Saugy le guitariste des Sorciers. Cookie Oreste remplace Jean-Marie Blanc à l’orgue comme dans Expo 64, Michel Klaux remplace Antoine Ottino à la basse.
Rosco du nom du présentateur de RTL est un bon titre avec de bons solos de guitare, un orgue très syncopé. Mais comme le fait remarquer Christian Schlatter il manque une mélodie à ce titre écrit trop rapidement par Léon Francioli.
Patricia composé par Léon Francioli qui est assez rapide, reste un bon titre.
Rêverie avec la trompette de Pierre Guérin et l’orgue d’Oreste est un bon slow.
California a un intro qui a des airs de Telstar, de bons solos de guitare et un accompagnement solide à la guitare.
Ce disque sera un échec, les Aiglons sont à bout de souffle, la désunion a fait son œuvre. L’argent a coupé le groupe en deux entre les compositeurs et les interprètes.
Par ailleurs la mode a changé, la musique venue d’Angleterre, les Beatles et le Mersey Beat font des ravages.
Christian Schlatter, Cookie Oreste, et Michel Klaus avec Léon Francioli tentent de poursuivre l’aventure. Ils reforment un groupe avec un chanteur, ils deviennent les Sounds.
A l’automne 66, il faut se rendre à l’évidence, c’est la fin. Christian Schlatter va rejoindre les bancs de l’école où l’ont précédé Jean Marc, Antoine et Laurent.
30 ans après que sont devenus les Aiglons ?
Léon Francioli est contrebassiste de Jazz réputé, c’est le seul a être resté musicien professionnel. Il a fait le conservatoire à Lausanne. Jean-Marie Blanc a poursuivi ses études et dirige un des plus important cabinet de conseils en entreprises et de recrutement de cadres. Antoine Ottino a repris l’entreprise familiale de peintre-plâtrier. Laurent Florian travaille chez Kodak et a complètement arrêté la musique. Christian Schlatter comme son père s’est tourné vers le journalisme. Il a eu le privilège, à la demande de Vince Taylor, d’annoncer la mort de ce dernier au monde entier.
Les Aiglons se sont retrouvés sur scène l’espace d’une soirée en 81 à Epalinges. Depuis Antoine Ottino et Christian Schlatter ont repris des leçons et ont formé un groupe Rockstalgie avec deux autres musiciens. Ils jouent les week-end les succès des années 60-65.
La réédition de Dial a permis aux Aiglons de faire une bonne vente en Suisse. Cela leur a donné l’envie de réenregistrer 4 titres cet été dont 3 nouvelles compositions et une reprise, peut être Panorama.
Jean BACHELERIE
Interview de CHRISTIAN SCHLATTER.
Combien les Aiglons ont-ils vendu de disques ?
Plus d’un million. Stalactite a été numéro 30 aux États-Unis, a été un succès en Italie ,en Argentine , au Japon en plus de la Suisse et de la France.
Quels ont-été les musiciens qui les ont influencé ?
Les SHADOWS, les VENTURES, et aussi BOOKER T. et ACKERT BLICK. Ils aimaient bien FBI, Telstar, Apache, Fort Chabrol.
KEN LEAN a-t-il été influencé par Joe MEEK et les TORNADOS ?
Non, KEN marchait au feeling, à l’inspiration. Ils ont joué TELSTAR sur scène.
Quelles ont-été les tournées les plus marquantes ?
Le car PODIUM avec RTL. Ils regrettent que la tournée avec GENE VINCENT ait été si mal organisée.
Sur scène quels étaient les morceaux préférés du public ?
STALACTITE, PANORAMA et BAL 10 10 qui servait d’entrée en scène. C’est d’ailleurs un des morceaux préférés de CHRISTIAN.
Combien de fois êtes-vous passé à la télévision ?
5 ou 6 fois dont deux fois à l’ORTF.
Avez-vous gardé des contacts avec des vedettes des 60’s ?
Oui avec MOUSTIQUE, Hugues AUFFRAY et El TORO.
Vos chanteurs préférés à l’époque ?
Cliff RICHARD, les BEATLES et les STONES.
Votre meilleur souvenir ?
La tournée avec Hugues AUFFRAY.
Votre regret ?
Pas de regrets, ce fut une aventure fantastique, une expérience unique. Un seul petit regret, avoir arrêté de jouer pendant 19 ans. Ce fut difficile pour s’y remettre.
Rejouent-ils maintenant ?
Christian a fondé ROCKSTALGY avec Antoine OTTINO, ils ont enregistré un 33t avec des Classiques du rock et quelques instrumentaux.
Merci CHRISTIAN et bon travail pour le prochain disque avec LES AIGLONS reformés.