René Mailhes est un de ces hommes de l’ombre, une éminence grise de la guitare et du jazz.
Sa vocation est devenue réalité à l’âge de 15 ans. Dans la famille on joue de la guitare naturellement, ses oncles furent des compagnons de Django Reinhardt. «Baro» Pierre Ferré , en 1935/36 et 1939, Jean en 1947, René » Challin » Ferré en 48 furent des membres du fameux Quintet du Hot Club de France de Django. La tribu des Ferré est une famille de musiciens manouches, Baro Ferré a inventé la valse Be Bop, qui continue à occuper avec bonheur la scène du Jazz gitan avec aujourd’hui Elios et Boulou dignes fils de Matelo et René Mailhes qui se rattache à la famille du Jazz
René Mailhes est un Ferré par sa mère et la guitare dans la famille c’était une seconde nature. René découvre le Jazz à 14 ans en 1949, lorsque son frère aîné rentre à la maison avec des disques de Charlie Parker, Sydney Bechet, Ellington, Coleman Hawkins. Là ce fut le choc, il voulait devenir musicien de jazz.
D’abord il voulut jouer du saxophone ou du piano. Son frère avait une guitare, une Buzzato, alors à défaut de saxo ou de piano, il s’est mis à la guitare. Peu de temps après lors d’un mariage, la famille Ferré est au grand complet et parmi les invités la fine fleur des guitaristes gitans se retrouve. René fait la connaissance d’un garçon de sa génération Laro Solero, ils ont quinze ans et 13 ans, comme tous les adolescents frondeurs, ils veulent s’émanciper du cocon familial. Pour eux la musique la vraie c’est le jazz « américain », c’est Jimmy Raney et Tal Farlow. Laro invite René à venir le voir. Il habite dans le XIX prés du marché aux puces, ce lieu où ils achètent leurs premiers 78 tours. Laro joue aussi de la guitare. Ils décident de se mettre à jouer du jazz.
René prend des leçons le jeudi chez son oncle René « Challin » Ferré qui habite dans le quartier Saint Paul. Trois ans plus tard, ils s sentent prêts pour jouer en public. Dans les années cinquante, les cinémas offraient des intermèdes musicaux au public avant la séance de cinéma et à l’entracte. Les frères Farlow comme ils se dénomment, proposent leurs services à une guitariste qui jouait de la guitare hawaïenne et cherchait deux accompagnateurs. Ils jouent les succès du moment la Paloma, Ils deviennent semi- professionnels en 1953….
Nos deux copains commencent à découvrir le Paris du jazz, la rive gauche et ses célèbres boîtes : le Club Saint Germain, le, le Tabou, le Blue Note…En 1954 René fait connaissance avec un guitariste qu’il vient écouter souvent au Tabou : René Thomas le grand guitariste Belge des années cinquante. René Thomas s’est émancipé de la tradition Django et a assimilé le jazz américain, le Be bop et Jimmy Raney grâce à un de ses disciples Jimmy Gourley installé à Paris.
René Thomas les invite un jour à faire le bœuf, ils sympathisent et se retrouvent au Grand Balcon l’hôtel de la rue Dauphine où vivait René Thomas. Là ils jouent et René les écoutent, jouent avec eux et ils apprennent au cours de longs dialogues musicaux. Laro est très doué et visionnaire.
En 1958 nos deux jeunes sont devenus des musiciens de jazz, René part en Allemagne avec son cousin Sarane Ferré, ils vont jouer sur la Kurfürstendamm les Champs Elysées de Berlin Ouest. Là ils retrouvent deux jazzmen de Berlin Est, dont un contrebassiste noir! C’était au temps où Berlin était partagée en quatre zones, trois à l’ouest : française, au nord, britannique au centre et Américaine au sud, et la zone soviétique à l’est. Ce partage définissait une frontière banale, où les berlinois de l’est pouvaient aller travailler et passer à l’ouest chaque jour sans problèmes jusqu’en août 1961..
René entre temps s’est marié et a eu une fille en 1955 et un fils en 1957, puis il aura deux autres filles en 1961 et 1963.
De 61 à 63 René Mailhes joue avec les Glenners de Glenn Jack (Jacques verrières) aux côtés de babik Reinhardt et Michel Gaucher Il jouera aussi un temps avec Teddy Raye. Après ce sera une interruption de 20 ans pour élever ses enfants. Au début des années 80 la nostalgie pour la musique est plus forte et René Mailhes, qui n’a jamais arrêté de jouer, se remet à la guitare. Il a sorti deux albums dans les années 90.
Jean BACHELERIE
Interview
Les musiciens qui t’ont marqué ?
R.M. : Tal Farlow, qui perça avec le trio formé avec Red Norvo, et Charlie Mingus*. Jimmy Raney, le plus grand défricheur, Django le chercheur, Joe Dorio le polytonal, Thelonius Monk, mes racines sont le Be Bop et le jazz gitan. Puis après vinrent John Coltrane qui a changé, fait évoluer le Jazz. Entre 1963 et 1968 je n’écoutais que du Coltrane, le génial saxophoniste ténor, surtout le John Coltrane Quartet. (Coltrane est venu au Jazz en commençant par la fanfare, puis le Rythm & Blues et enfin le Be Bop. Son style est fortement marqué par le Blues, c’est un jazz qui deviendra mystique (1) ).
Après Coltrane j’ai écouté le Be Bop avec une oreille neuve, je comprenais mieux les harmonies du Be Bop. J’ai approfondi ma connaissance des harmonies avec Dexter Gordon et Duke Ellington. En fait c’est André Persiani, grand pianiste de jazz français de renommée international, il fut un des rares français à avoir joué aux USA, qui m’a fait comprendre Duke Ellington.
Les années 60 furent donc une période clé de ta carrière musicale ?
R.M. : 4Oui j’ai beaucoup mûri et j’ai compris que ma vocation était le jazz, un jazz vivant, créatif. J’ai aussi découvert la difficulté de rester un musicien qui aime la musique, sa musique le jazz. En effet les années soixante marque un certain déclin de la scène jazz à Paris. Le Rock & Roll enflamme la jeunesse et devient rapidement un marché, celui de la musique pour les adolescents. Il devient alors le yé yé, musique plus sage et propre.
Je suis devenu professionnel en 1960, j’ai eu le plaisir de connaître Mac Kac, le batteur, qui jouait au club Saint Germain avec Pierre Cullaz, à la guitare et Pierre Simonian, bassiste et Arvanitas ou Solal au piano. Mac Kac m’a présenté au Club Saint Germain comme son jeune cousin pour un remplacement pendant les dix jours de tournée qu’ils devaient accomplir. J’avais quand même fait dix ans de guitare à raison de cinq heures par jour. Ce fut rude, mais je m’en suis sorti. Puis Bernard Duteil m’a donné mon premier vrai contrat passer dans un club de vacances. Après ce fut la vague Rock twist.
Nous avons connu cette aventure avec Glenn Jack et les Glenners de 61 à 63. Jacques Verrières le parolier et chanteur, devenu célèbre dés 1953 avec Mon pote le Gitan, hommage à Django, créé par Yves Montand. (voir dans un prochain article nous relaterons son histoire) est Glenn Jack. Les Glenners ne sont personne d’autres que René Mailhes, le jeune Babik Reinhardt, il avait 17 ans et Laro Solero sont aux guitares, Michel Gaucher au saxo, Yvon Benaïm au piano/orgue et Aimé Setbum aux baguettes. Aimé et Yvon étaient deux pieds noirs, à la tchatche légendaire, l’un d’Oran, l’autre d’Alger, chacun étant farouchement convaincu que sa ville natale possédait le meilleur conservatoire de France.
Nous avons joué deux ans, faisant différentes tournées et deux disques.(réédités récemment par JukeBox magazine voir G& D 101) Jacques Verrières a composé les paroles de l’inénarrable Zizi la Twisteuse, Quand Maddy sonne, Jenny et l’amour tout l’amour, dont j’ai composé la musique. Le scopitone, le clip de Zizi la twisteuse a été tourné au Trocadéro, ce fut une belle partie de rigolade. Le metteur en scène n’était autre que le jeune débutant Claude Lelouch!
Nous avons été assez déçu par les critiques de nos disques, nous étions trop jazz paraît il et nous jouions mal comme l’a écrit le Monde !
A l’époque j’ai joué aussi avec un chanteur pied noir Teddy Raye, un bon rocker qui marchait pas mal. Dans ces années là je connaissais aussi le jeune Olivier Despax et ses Gamblers. Olivier m’a demandé de le remplacer quelques jours, alors qu’ils passaient à la Rose Rouge, rue de Rennes, le Keur samba aujourd’hui. Puis nous avons auditionné pour passer à l’Eléphant Blanc rue Vavin, là nous avons joué du R & B, qui était le répertoire des Gamblers, notamment What D’I say. C’était les débuts des Gamblers, Claude François était encore avec eux et venait de laisser une démo chez Barclay. voir G & D 95 & 96).
J’ai aussi accompagné Frankie Jordan sous la direction d’Eddie Vartan, sa toute jeune sœur Sylvie faisait les chœurs. Nous avons même joué avec Frankie Jordan au Blue Note rue d’Artois prés des Champs Elysées. Puis nous avons fait le premier festival de rock au Palais des Sports, à la batterie il y avait Ricardo Galleazi (qui joua un temps avec les Gamblers), Eddie Vartan à la trompette.
Le Golf Drouot ?
Notre orchestre deux guitares, un orgue et une batterie passait de temps en temps au Golf Drouot, je jouais alors de la basse. Un jour Eddy Mitchell est venu me demander de rejoindre son orchestre comme bassiste, ce devait être en 1963/64. Ma musique était le jazz, je ne voulais pas faire carrière dans le rock.
La rupture avec le professionnalisme ?
RM. Depuis 1963 j’avais quatre enfant ,une famille à nourrir. Mon épouse, Mado(Nano) m’a fait remarquer un jour La musique c’est bien beau, mais elle ne nous nourrit pas. Alors je suis allé voir mon oncle, un grand ferrailleur de Malakoff. Là je me suis spécialisé dans les métaux j’ai vite compris l’intérêt qu’il y avait à récupérer le plomb, le zinc, le cuivre pour le revendre. Pendant une quinzaine d’années nous avons changé de vie,. Je baignais dans la ferraille. Puis après 18h je reprenais ma guitare et je jouais et j’écoutais cette musique que j’aimais et dont j’avais tant besoin. En 1983,j’étais fatigué de la revente des métaux. Même si je gagnais bien ma vie, je changeais de Mercédès tous les ans et de caravane tous les deux ans! La musique m’appelait. Ma vie c’était la musique.
Mes enfants maintenant étaient assez grands pour faire leur vie. J’ai dit à Mado, on va s’acheter une ceinture et on va la serrer d’un cran ou deux. Je ne peux plus continuer dans les métaux, je veux jouer du jazz.
Le retour à la musique ?
R.M. : Je n’avais jamais arrêté de jouer de la guitare, j’en jouais tous les jours, le soir après le travail, de temps à autre je faisais un petit concert. Mais je jouais surtout pour moi. Le besoin de jouer pour le public, de jouer sur scène a été le plus fort, de jouer du jazz a été le plus fort.
Quand tu joues du jazz, tu dois vivre pour cela, ce n’est pas compatible avec un autre job. Le jazz il faut le sentir, le ressentir et le communiquer. Tu joues avec ta tête, mais aussi avec tes tripes. Le jazz se joue et s’écoute dans un club. La musique c’est intimiste. La musique pour moi c’est vital. La technique cela ne suffit pas.
La reprise n’a pas été difficile. J’ai formé un trio avec George Ketcli et Dominique Lemerle. Après j’ai joué avec Gilles Clement et enfin Michel Perez. Lui c’est un sacré musicien, c’est un grand du jazz moderne.
Je me suis mis à travailler sur un album, cela a pris douze ans. Cela a donné Gopaliné. J’ai mis trois ans pour le suivant Gitrane. Je travaille à un nouvel album.
Quels sont les musiciens qui ont jalonné ta vie depuis 1983 ?
R.M. : Il y en a plusieurs, Jo Dorio, il s’est installé à Tours en 1994. c’est un musicien et guitariste extraordinaire. Il a son atelier à Tours.
Il y a Bill Frisell qui a une main gauche fabuleuse. Il a un geste fabuleux, l’extension de la main sans décoller, il a une manière de prendre la guitare, de la tenir pratiquement droite.
Il y a aussi Yves Brouty, il a un jeu terrible, il fait beaucoup de disques.
Christian Escoudé, qui est sans doute le plus créatif, le phare actuel. Michel Perez, un gitan, un des musiciens les plus intéressant à la guitare, il a fait un disque avec Ron Carter et deux ou disques chez Kaleidoscope.
J’ai enseigné la guitare de 92 à 98, j’ai eu un élève Abdel Kander, il joue dans Bemsha swing et Waltz news sur l’album Gitrane. Il m’a été envoyé par la piano Jazz School de la rue des entrepreneurs dans le XVø. Elle est dirigée par une berlinoise, elle m’a présenté le jeune Abdel, me disant il veut jouer du jazz. Après un an et demi de leçons, j’ai senti que ce garçon qui avait du swing pouvait devenir un excellent guitariste. Cela s’entend dans les morceaux où il joue. C’est un garçon doué pour tout. Il faisait une école de commerce et quand il a fini, il est parti pour San José en Californie. Là il a admirablement réussi dans les affaires. Il continue la guitare néanmoins.
Tu es passé au Franc Pinot avec d’excellents accompagnateurs, peux-tu nous
les présenter ? Oui Pier Paolo, le batteur, c’est un batteur qui joue de la batterie comme s’il était un peintre de talent. Il a une oreille fantastique, il enregistre pas mal notamment avec Paolo Fresce le trompettiste italien. Au piano Patrick Villanueva, un grand pianiste, il est d’origine mexicaine, le bassiste était Nicolas Rajeau.
Puis tu es passé au Studio des Ilotes avec Roger Guérin, le grand
trompettiste français. Je vais passer le 26 janvier à 21h30 à l’Entrepôt, 7-9 rue Francis de Pressensé dans le 14ø.
Tes guitaristes favoris actuellement ?
R.M. : Jim Hall, qui est un grand, il est trés moderne, Miles Davies, la rythmique la plus moderne, Bill Frisell, John Scotfield, Joe Lovano, Mark Withfield, Eric Escoudé, je lui ai fait travailler les accords, et lui ai dit ton père il joue comme ça, tu dois faire autrementàécoute Keith Jarrett, bill Evans et puis joue ton style il y a aussi Birelli Lagrène, qui a appris avec le regretté Babik, Philip Catherine, il a un bon drive. Pour n’oublier personne il y a les éternels Jimmy Raney, et Django.
Jimmy Raney compte beaucoup pour toi ?
R.M. : A 15 ans je ne pouvais plus écouter Django, je l’avais écouté jusqu’à l’indigestion. Cinq ans plus tard j’ai réalisé que Django était aussi un très grand du jazz, un des plus grands. Jimmy Raney il fait deux belles phrases quand un grand guitariste comme Jim Hall fait des riffs. Il le tue. Quand il est arrivé, il ne faisait pas d’accords, il jouait droit, il jouait mono, au lieu de jouer plusieurs notes à la fois. Depuis ses débuts en 1951, c’est l’un des plus grands guitaristes que le jazz ait jamais eu.
Merci à Jazz Hot. Nous avons complété notre interview avec celle effectuée par Michel Bedin et publiée dans le numéro 540 de Jazz Hot dédié aux héritiers de Django Reinhardt.
(1) Les grands créateurs de Jazz, Gérard Arnaud / Jacques Chesnel , Bordas éditeur.
Discographie
Gopaliné – 1995 (Iris Musique IMP922 3001 922)
Song for Mac Kak (Baptiste Reilles) / One for Helen / Gopaliné (Tchave) / Escapade / Come Sunday / These Things Called Change / Big Blues / Old Folks / Bernard au Top* / Love letter / Jacquet’s Samba (Cousi meo) / 245.
René MAILHES, Patrice GALAS orgue Hammond, Philippe COMBELLE batterie.GITRANE – 1998 (Iris Musique 301 810)
L’homme de Liège (*) (à René Thomas) / Alone Together / Gitrane (*) (à Challin et John Coltrane) / Bensha Swing / A Flower Is A Lovesome Thing / Turbulente Chloé (*) (à Baro) / Waltz New / Nano My Dear (*) (à mon épouse) / To Django (*) (et à Joseph) / Con Alma / Le Photographe (*) (à Bernard youd) / Matalott (*) (à Matelot).
(*) Compositions de René Mailhes.
Musiciens : René MAILHES (175 A Gibson et Guild électro-acoustique), Philippe GALAS piano, Philippe COMBELLE batterie, Dominique LEMIERLE contrebasse, Idrissa DIOP percussions et Abdel KNADER guitare (premier solo dans Bemsha Swing et Waltz New).